Bonjour à tous et toutes,
Je viens partager ici mon histoire, mon cheminement personnel, etc.
Je suis en couple depuis maintenant 22 ans. Mon mari a toujours un penchant pour l'alcool, mais c'était au début festif, occasionnel. Très progressivement les occasions se sont faites de plus en plus faciles, de plus en plus en souvent, et les quantités de plus en plus importantes. Il ne s'est jamais caché. Mon père est alcoolique, j'ai connu l'alcool toute ma vie, mais mon père se cachait et était violent. Ce n'était pas le cas dans mon couple. L'alcool est assumé, non caché, et dans les premiers temps mon mari avait l'alcool amoureux, tendre et amusant. Je suis la grenouille qui n'a pas vu que l'eau était en train de bouillir. Il me disait son alcool sous contrôle, je ne voyais pas les dégâts que j'avais vu chez mes parents. Je me disais que tout allait bien, sous contrôle.
Puis il a commencé à perdre le contrôle, les quantités bues étaient telles qu'il faisait n'importe quoi, c'était pathétique. Il y a bien qu'un homme saoul pour croire que c'est cool d'être ivre. J'ai commencé à avoir honte, à vouloir caché cet état. Puis il s'est disputé avec nos amis lors de soirées trop arrosées. Le vide s'est créé petit à petit, insidieusement. Et j'avais honte d'en parler à ma famille. Bien sur, ils l'ont vu saoul à de nombreuses reprises mais comment faire la différence entre l'alcool "festif" et quotidien quand on est de l'extérieur, visiteur occasionnel? Je me suis tue, j'ai fait comme si tout allait bien. Et les années passant, nous nous sommes retrouvé seuls, prisonniers tous les deux de notre mal être. Et une dépendance à l'autre se cristallise dans ces conditions.
Cela a mis six longues années à s'installer, à se créer, à s'insinuer comme une brume épaisse jusqu'à tout faire disparaître.
Puis, une fois seuls et enfermés dans nos mal être respectifs, son attitude sous l'emprise de l'alcool a changé, et je suis restée anesthésiée face à ce changement, isolée, choquée, inconsciente. La grenouille dans l'eau chaude qui n'a plus de force. Les paroles blessantes se sont mises à pleuvoir, les unes après les autres, soir après soir... Il a brisé chacune de mes défenses en appuyant sur chaque blessure qu'il connaissait, en jouant sur chacun de mes doutes, sur mes craintes, mes peurs.. Une destruction psychologique magistrale, parfaitement organisée, remarquablement efficace! Certains d'entre vous pensent très fort "pervers narcissique". Rien n'est jamais simple. Il n'est pas pervers narcissique au sens où vous l'entendez, ce n'est pas le grand méchant et moi la vicitime. Nous sommes entrés tous les deux (et à pieds joints) dans une relation toxique. Lui malade de son alcoolisme et souffrant d'une haine et de dégout envers lui-même. Moi souffrant de mon manque de confiance en moi et dépendante de lui. Il y a eu un phénomène de transfert psychologique entre nous, aussi forte et complexe que la force de notre amour. En se haïssant lui-même, c'est moi qu'il a hait. En cherchant à m'accepter et à me pardonner à moi-même, c'est à lui que j'offrais mon pardon. Nous étions trop imbriqués, trop fusionnels, nous nous sommes confondus l'un l'autre et les soins que nous cherchions à nous apporter étaient mis sur la mauvaise personne, donc inutiles...
Je me suis enfermée très très jeune dans le rôle de la personne responsable, qui fait face à tous les drames et assume les responsabilités que les autres abandonnent. C'est le rôle qui m'a fait tenir face à l'alcoolisme de mon père et à la souffrance de ma mère et de mes frères et sœurs. C'est donc avec habitude (et en cherchant bien profond avec soulagement) que j'ai repris le rôle qui me va si bien. Oh avec quelle fierté je me suis vanté d'être celle qui assume les responsabilités. Au fur et à mesure qu'il s'enfonçait dans sa dépression et son alcool, j'ai pris la responsabilité du quotidien. Mais je ne lui ai pas rendu service, parce que quelque part je ne lui ai laissé que la honte non exprimée (je ne lui ai jamais fait de reproches, c'était mon choix), mais ça a aggravé son dégout pour lui-même. Et en retour, j'avais son amour dont j'avais tant besoin pour combler mes blessures d'enfance, ce besoin d'amour inconditionnel - fusionnel, le besoin d'être exceptionnelle pour quelqu'un. Waouh, quelle pression pour lui! Je l'ai rendu dépendant à moi sous prétexte d'alcoolisme, et moi j'étais dépendante de son amour qui me faisait exister. Donc voilà cette fameuse co-dépendance, le cercle vicieux infernal... Dans notre cas, l'alcool n'est que le facteur déclenchant qui exprime notre dysfonctionnement. Pour les curieux, je vous laisse aller regarder la théorie du triptyque sauveur - bourreau - victime, ou comment l'un ne peut exister sans les autres composantes, et surtout comment chacune des composantes existe en chacun de nous. Je suis à la fois la victime, le sauveur et le bourreau. Il en est de même pour lui.
Pendant ces quinze dernières années, nous nous sommes enfermés dans nos rôle, et son comportement sous l'emprise de l'alcool s'est aggravé. De plus en plus méchant, de plus en plus agressif. A plusieurs reprises, la violence physique a été présente, difficilement régulée. Il ne veut pas être violent, c'est une limite qu'il s'est fixé. Et avec mon passé, je sais et il sait que c'est clairement la limite que l'on ne doit dépassé. Alors, malgré sa rage, sa violence s'est limité à quelques bousculades et quelques gestes trop forts (serrer mes poignets trop forts en me secouant...) Jamais de gifle, jamais de coup, mais une telle rage que c'en est quand même très traumatisant.
Et ces dernières années, ça a été le déséquilibre de ce scénario bien rodé. Il a trouvé une amie (et non ce n'est pas une personne avec qui il me trompe, ça aurait été bien trop simple). Je suis exclue de cette amitié, et il n'a pas besoin de boire pour se sentir bien avec elle, il trouve une sorte d'équilibre psychologique qu'il n'a pas avec moi, il retrouve goût à la vie mais ce n'est pas avec moi. Pour autant, cela ne change rien à son amour pour moi, et par conséquent cela ne change également rien à son transfert de haine de lui vers moi. Mais moi j'ai perdu mon équilibre. Je ne suis plus cette personne dont il dépend, la personne exceptionnelle qui existe au travers de son amour exclusif. Je ne suis plus que cette femme à travers laquelle il décharge ses sentiments négatifs envers lui-même.
J'ai fait une énorme dépression nerveuse, j'ai trouvé la force de me faire aider pour le bien de mes enfants. Je me suis fait accompagnée par un psychiatre formidable puis par une psychologue tout aussi formidable. J'ai pu mettre des mots sur ma souffrance, j'ai pu comprendre mon propre fonctionnement, voir mon couple sous un autre angle et identifier les mécanismes en place générant ce dysfonctionnement. Quel travail laborieux, mais nécessaire. C'est difficile de se regarder dans un miroir pour de vrai. Ce serait si simple de se dire que c'est sa faute parce qu'il boit. Dans mon cas personnel, je comprend pourquoi je n'ai pas réagi, pourquoi j'ai laissé faire, pourquoi j'en bêtement encaissé sans dire stop.
Donc voilà où j'en suis aujourd'hui. J'ai fait mon travail de compréhension de moi-même. Lui refuse de faire son introspection, il préfère boire pour oublier je ne sais quoi. Je sais maintenant que notre couple est impossible en continuant ce scénario, lui refuse l'évidence et m'accuse de faire un caprice ou de m'être fait laver le cerveau par les psy... Cependant, mes réactions ont changées et du coup le scénario des disputes habituelles ne marche plus. Je me suis également rendue compte les quelques jours où il a arrêté de boire (oui il n'est pas physiquement dépendant, il arrête comme il veut sauf qu'il ne veut pas), je me suis rendue compte que les blessures étaient trop profondes entre nous et que nous nous sommes éloignés. Nous ne partageons plus de bons moments, c'est la souffrance qui nous a fait tenir ensemble. Comment guérir ça?
L'avenir reste donc à écrire, seule ou à deux. Je suis encore prisonnière de mon sentiment de responsabilité envers lui, comme une mère envers son enfant. Que va t'il devenir? Va t'il sombrer sans moi? Comment je me sentirai s'il s'en sortait sans moi? A ce jour, je ne suis plus du tout sensible à sa violence verbale puisque le transfert est coupé en ce qui me concerne. J'identifie sa propre haine et sa volonté de se décharger sur moi. Je reprend confiance en moi, pour moi-même, en moi-même. J'ai renoué les contacts que j'avais distendu, avec la famille et les amis, j'ai repris une vie sociale seule (sport, association, groupe d'amis avec qui je sors de temps en temps...) J'ai recommencé à vivre. Et je ne sais pas ce que va devenir mon couple, et le résultat dépend de sa réaction à lui et de mon courage à moi de prendre ma vie en main. Mais je suis prête à partir, il en faut très peu pour que je parte (c'est ce qu'on dit toutes, non?)
Merci de m'avoir lu, et j'espère que mon travail sur moi-même pourra éclairer d'autres conjoints d'alcoolique sur le fonctionnement de leur couple.
Je vous souhaite à tous bon courage!