Je n’oublierai jamais ce coup de téléphone qui m’a glacé le sang. C’était il y a deux semaines. Le médecin m’annonce qu’ils n’ont pas réussi à stopper l’hémorragie digestive qui t’a conduite à l’hôpital et que tu es transféré d’urgence au CHU. Il est possible que tu ne survives pas. Ce n’est pas ta première hospitalisation pour cette raison mais cette fois c’est très grave. Cela fait des années que je me prépare à ce qu’il t’arrive quelque chose (et que tu m’y prépares), que j’appréhende les appels de mon frère, que je me dis quand je te quitte que c’est peut-être la dernière fois que je te vois. Encore plus depuis deux ans, depuis ce diagnostic de cirrhose à stade avancé qui n’a malheureusement pas été le déclic vers le changement. Et encore plus, en te voyant te dégrader ces dernières semaines durant lesquelles tu t’alimentais peu, restais léthargique toute la journée sur ton canapé, avec pour unique motivation d’aller remplir ce verre, que je connais si bien et depuis toujours. On le voit, on s’y prépare car on sait que cette épée de Damoclès prône au-dessus de ta tête. On s’y prépare mais on n’est jamais prêts.
A peine avoir raccroché, j’ai pris un sac et ai sauté dans ma voiture pour te rejoindre. Durant les 170 km qui nous séparaient, j’ai prié pour que tu t’accroches et que je puisse te parler et t’accompagner jusqu’au bout en te tenant la main. Mes souhaits ont été exaucés. A l’issue de cette interminable journée, on a pu te voir, endormi sous respirateur, mais tu étais encore là. Les médecins ont fait un formidable travail et t’ont offert un sursis de vie. Une chance de profiter plus longuement de tes enfants, tes petits-enfants et tous ceux qui comptent. Aujourd’hui on sait, et encore plus chaque jour, que le temps est compté. Tu auras peut-être 74 ans cette année…
J’écris cette lettre mais je ne te la donnerai sans doute pas. J’aurai trop peur de l’impact de mes mots. J’aurai trop peur de te blesser alors que tu es déjà à terre, trop peur d’altérer notre relation, que tu m’en veuilles, trop peur de gâcher ces derniers instants. Il y a des questions que je n’ose pas te poser : Pourquoi ne veux-tu pas d’aide ? Penses-tu à nous parfois ? Que vas-tu faire de ce sursis ? Es-tu réellement content d’être en vie ou tu aurais préféré y rester ?
Quand je te vois reprendre des forces et dire que tout va bien, que tu n’as mal nul part et l’impression qu’il ne s’est rien passé, ça me fait peur. L’image de toi intubé sur un lit d’hôpital avec 10 machines autour, moi je ne l’oublie pas. J’ai peur que tu écourtes le reste de ta vie.
J’ai de la peine aussi mais je ne t’en veux pas. Tu as fait comme tu as pu dans la vie. C’est juste que je t’aime et que j’aimerais pouvoir encore profiter des beaux jours à venir. Moi je pense que c’est possible, que tu peux réussir à reprendre ta vie en main, combattre tes démons et prendre soin de toi.
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On me répète qu’il faut que j’accepte, que ce n’est pas ma responsabilité, c’est la sienne. Bien sûr que chacun est responsable de sa propre vie. Mais comment supporter de voir quelqu’un qu’on aime se détruire ? comment accepter son impuissance ?
J’ai posé mon texte ici, cherchant quelqu’un qui me comprenne.
Merci à ceux qui l’auront lu et courage à tous dans ces épreuves difficiles.