Bonsoir.
J'écris ici plus pour moi que pour lui, parce que parfois il faut juste vider son sac avant d'y retourner.
Mon père est alcoolique depuis longtemps. Ça a commencé il y a une dizaine d'années je dirais, sans doute un peu plus. C'était très insidieux, comme souvent, et ça s'est gravement accéléré ces dernières années. Notre famille a connu une succession de drames et tragédies qui ont laissé ses marques en chacun de nous, donc il faut bien comprendre que nous sommes déjà tous sérieusement abimés. En dépression pour la plupart, bataillant avec des troubles psy non diagnostiqués, des maladies physiques bien diagnostiquées et des traitements pénibles. Et pour completer ce magnifique tableau, mon père. Mon père, c'était ce héro. Celui que je ne voyais que le week-end parce qu'il travaillait comme un fou pour qu'on ne manque de rien. Celui qui nous laissait lui sauter sur le dos pour nous faire rire quand on avait 4 ans, et qui a dû se faire opérer des années plus tard. Celui qui cédait a tous mes caprices parce que j'étais sa fille chérie.
Il est plus que temps que je fasse mon deuil de ces souvenirs, parce que mon père ne sera plus jamais mon père.
L'alcool l'a laissé méconnaissable. Et pourquoi, pourquoi on s'obstine à se convaincre du contraire quand ça fait si mal. Aujourd'hui, il ne comprend plus ce qu'on lui dit. Il ne sait plus s'il travaille ou non, il est tellement désorienté qu'il se met en danger quotidiennement. Il vit seul mais perd ses papiers, son portable, il chute. Aujourd'hui ma mère a encore eu la peur de sa vie parce qu'il était injoignable, ce sont les gendarmes qui ont dû aller vérifier a son domicile qu'il n'était pas tombé par-dessus un pont, tombé dans un fossé ou que sais-je encore. Nous avons entrepris une mesure de mise sous curatelle, mais force est de constater que ce ne sera jamais suffisant pour qu'il s'en sorte. Sa deuxième cure est programmée pour dans un mois. Et c'est vraiment bien qu'il y aille, et peut être que. Peut être.
Mais peut être aussi que dans un mois, il n'y aura plus personne pour lui. Parce que qui peut dire dans quel état se retrouveront tous ses proches après avoir craint de le perdre une énième fois ? Après avoir supporté la honte de ses comportements ? Après avoir supporté encore et encore de passer après ses bouteilles ? Après l'avoir attendu le soir de Noël, pendant qu'il cuvait dans son coin ?
J'ai peur de la façon dont l'histoire se finira. Pour cette famille entière, maudite. Pour mon père, empoisonné. Pour ma mère, étouffée par la culpabilité. Pour mon frère, pour ma soeur, pour moi. Submergés. Il faut chercher de l'aide nous dit-on, du soutien. Alors on cherche : la majeure partie des professionnels est tellement apte au jugement qu'on se demande parfois si elle ne s'est pas trompée de voie. Les quelques bons recensés sont aussi inaccessibles que le métro parisien, soit par leurs agendas soit par leurs tarifs. Pendant cette quête insensée d'un filet de sécurité, la descente aux enfers se poursuit. L'accident d'il y a quelques semaines aura eu le mérite de le laisser sans sa voiture, qui n'a pas eu la même chance que lui. Trois tonneaux, ça ne pardonne pas généralement. On s'attendrait a ce que ça calme, une expérience comme celle-ci. Mais je suppose que quand elle est vécue par un prisme de trois grammes, les leçons qu'on devrait en tirer sont assez vite oubliées.
Je voudrais que ça s'arrête, je voudrais pouvoir dormir sereinement. Je voudrais ne plus avoir une trouille bleue quand mon téléphone sonne. Je voudrais qu'on arrête de me reprocher comment je gère tout ça : je me déteste autant quand je l'aide que quand je l'ignore. Il n'y a aucune bonne solution, aucune phrase magique, et personne n'en sort indemne.
Alors qu'est ce qu'on fait ? On attend et on espère que le téléphone ne sonnera pas cette nuit.